Enseignante, blogueuse éducation et passionnée de littérature jeunesse, Lauriane a pour leitmotiv la pédagogie active, notamment par le théâtre, et la lecture pour tous. Retrouver tous ses articles
Tant que nous n’y sommes pas confrontés, nous évitons de parler de la mort avec nos enfants. Mais celle-ci survient un jour ou l’autre, ne serait-ce qu’au détour d’une promenade dans les bois. Et les enfants sont demandeurs d’explications, d’échanges sur ce sujet délicat. Les tenir à l’écart de la réalité du monde ne leur rend pas service pour y trouver leur place. Nous avons donc tout intérêt à répondre à leurs questions, sans les devancer et en adaptant notre propos en fonction de leur âge. Comment annoncer le décès d’un proche à son enfant et l’aider à exprimer ses émotions ? Sur quelles ressources et activités peut-on s’appuyer pour évoquer la mort et le deuil en famille ? Voici quelques pistes pour surmonter cette difficile épreuve et réussir à concilier ses propres sentiments avec ceux de ses enfants.
Quelles sont les représentations de la mort chez l’enfant ?
C’est une question que l’on se pose lorsqu’on est parent. Que comprend l’enfant de la mort ? Une disparition ? Un sommeil éternel ? Le passage à l’état d’esprit ? Le retour à la terre ou à une énergie, cosmique ou spirituelle ? De fait, il n’existe pas de réponse unique et irrévocable.
Le concept de la mort est une notion fluctuante, qui se développe, s’acquiert graduellement et se remanie perpétuellement. Il n’y a donc pas de théorie recensant avec certitude des étapes d’acquisition de représentation de la mort. Même s’il est tentant d’imaginer que la conception de la mort évolue vers un stade adulte univoque, rien n’est moins vrai.
Par essence, appréhender la mort, celles des autres et la sienne, ne cesse de se réactualiser au cours de l’existence. Ainsi, nous ne concevons pas les mêmes idées en fonction de notre âge, de notre maturité, mais surtout en fonction de notre culture, de nos croyances et de nos expériences. C’est pourquoi, il est préférable de ne pas enfermer les enfants dans des cases ou des catégories. En revanche, nous pouvons retenir que plusieurs facteurs influencent leurs représentations de la mort : l’environnement familial, scolaire et social, ainsi que les habitudes de vie (accès aux médias, à la télévision, aux jeux vidéo…).
Conception de la mort en fonction de l’âge de l’enfant
Même si chaque enfant réagit de manière singulière face à la mort, on peut identifier certaines conceptions typiques en fonction de l’âge.
Conception de la mort avant l’âge de 3 ans
Avant 3 ans, l’enfant ne peut comprendre pleinement le sens de la mort. Il l’assimile à une absence prolongée, à un départ sans retour programmé. Cela ne signifie pas que le tout-petit n’éprouve pas d’émotions, mais si la mort est lointaine il ne se sentira pas concerné. En revanche la mort d’un proche le plonge dans l’angoisse de l’abandon, de la perte. Il peut manifester une grande détresse, cesser de parler, de s’alimenter, de dormir etc. En particulier, il ressent les émotions des proches qui ne peuvent plus prendre soin de lui comme d’habitude.
Réversibilité de la mort chez les enfants de 3-6 ans
Entre 3 et 6 ans, les enfants comprennent le rapport entre absence de mouvement, perte des fonctions vitales et la mort. Très présente dans les jeux, la mort connait une forme de réversibilité. On joue à faire le mort, puis on se relève. Toutefois, l’idée de la mort concerne les personnes âgées, dans une logique de cycle naturel qui va de la naissance à la mort – tout comme l’illustre l’alternance des saisons, métaphore du cycle de la vie.
Cependant, les morts accidentelles et par maladies n’entrent pas encore dans le schéma de la pensée enfantine. Ainsi, le décès d’un proche provoque souvent de violentes réactions et une forte culpabilité. L’enfant se sent responsable et s’en veut pour son comportement. Il peut présenter divers symptômes de stress et d’anxiété, surtout lorsque son quotidien change (déménagement, changement d’école, de routine…). Cela va de l’énurésie à l’agressivité en passant par des troubles du sommeil.
Entre réversibilité et irréversibilité de la mort dans la conception de la mort chez les 5-9 ans
Entre 5 et 9 ans, l’enfant peut prendre conscience du caractère définitif de la mort. Toutefois, il oscille entre plusieurs conceptions qui fluctuent en fonction du degré émotionnel de chaque situation. Lors du deuil, la gestion des émotions peut induire une tentative de contrôle, de masquage, voire de déni afin de conserver un semblant de « normalité ». L’enfant encourt alors un risque accru de troubles du comportement.
Conception rationnelle de la mort chez l’enfant de 8-12 ans
Entre 8 et 12 ans, l’enfant adopte une conception rationnelle de la mort fondée sur un constat physiologique (arrêts des fonctions vitales). Parallèlement, il accède à la pensée abstraite. Il réfléchit à sa propre existence, s’interroge sur le sens de la vie et sur ce qu’il y a après la mort. Touché par la mort d’un proche, l’enfant voudra comprendre les circonstances exactes du décès. Par ailleurs, dans de nombreux cas, il préfère ne pas manifester ses émotions pour tenter de garder le contrôle de la situation.
Présence de la mort dans le quotidien de l’enfant
Quand on devient parent, on développe une attitude protectrice envers ses enfants. Cela peut nous conduire à vouloir leur éviter certains sujets jugés difficiles, tristes, voire tabous. Pourtant, la mort fait bien partie de la vie puisqu’elle concerne justement les vivants. Et elle est partout !
Les manifestations de la mort dans l’univers de l’enfant
Difficile de manquer le pigeon mort sur le bord du trottoir, la mouche tombée raide dans l’écuelle du chat. Inévitable aussi de comprendre que les rois et reines appartiennent au « passé », entrainant avec eux une foule de personnages historiques. En outre, qui n’a pas évoqué en présence de sa progéniture un acteur décédé, une chanteuse disparue ou la dernière panthéonisation de notre Ve République ? L’enfant, même petit, entend et ressent tout cela.
De même, le décès prématuré d’un collègue malade, le départ d’un parent, l’absence douloureuse d’un ami nous agitent dans notre quotidien… qui est aussi celui de nos enfants ! Même si nos mots sont pesés, nos émotions dissimulées, il n’en flotte pas moins une atmosphère d’étrangeté à laquelle l’enfant est sensible. Il sent que « quelque chose » ne va pas, sans être capable de le formuler. Et il aura tendance à se sentir coupable de cette situation.
Les jeux enfantins autour de la mort
Il est par ailleurs fréquent que l’enfant lui-même vienne nous pousser dans nos propres limites. J’t’aime pas, j’voudrais que tu sois morte ! Cette phrase surgit parfois au détour d’une colère, d’une frustration, sans pour autant signifier son sens littéral. Comment mieux s’y prendre pour tester nos réactions, pour en découvrir davantage sur ce tabou de la mort, sinon par cette provocation ? L’enfant convoque surtout l’image de la séparation. Il ne pense pas à une situation radicale, mais à une punition par la privation de l’objet d’amour. Et selon son expérience, l’absence est toujours suivie de retrouvailles.
Enfin, dans le langage courant, le terme « mort » s’emploie pour de nombreuses situations : une panne de voiture, d’électroménager (la machine est morte), de la fatigue (je suis mort) et même une association avec le rire (mort de rire). Il y a aussi la faim (mort de faim), l’enthousiasme (je suis à fond / à mort !), la négation (c’est non/ c’est mort). Le bébé, puis le tout-petit comprennent et utilisent facilement le mot « mort » et l’incluent aussi dans leurs jeux : batailles, courses poursuites, gendarmes et voleurs, jeux effrayants pour Halloween…
Quand la mort devient un événement familial
Affronter la mort d’un proche
Tant qu’il reste en toile de fond, le spectre de la mort n’interfère pas, ou peu, avec le quotidien de l’enfant. Mais les aléas de la vie jettent des épreuves sur notre chemin. Tôt ou tard, nous voilà confrontés, adultes et enfants, à la mort d’un proche. Dès lors nous ne pouvons plus éviter d’aborder ce sujet en famille, premier lieu de transmission. La réception de la nouvelle par l’enfant dépend de la charge émotionnelle de l’adulte et de son propre point de vue sur la mort.
Ainsi, en fonction de l’attachement que les vivants portent aux personnes décédées, le choc va de la tristesse à l’effondrement. La mort d’un aïeul sera vécue avec moins de violence que celle d’un enfant, tout comme celle d’un collègue face à un ami victime d’un accident. Parfois, lorsque la douleur est trop forte, le parent ne peut parler de ce qu’il ressent avec son enfant. Pour autant, il est important que ce dernier ne se sente pas exclu. En effet, l’enfant peut vite éprouver de la culpabilité en se sentant impuissant à consoler son père ou sa mère. C’est pourquoi, il est crucial qu’une personne extérieure puisse mettre des mots sur la situation et rassurer le tout-petit.
On pourrait penser que l’on peut se préparer à la mort, afin de mieux la surmonter lorsqu’elle se présentera. Or, certaines morts accidentelles ébranlent nos tentatives d’anticipation. Et même averti de la maladie d’un proche ou de son âge avancé, nous ne pouvons imaginer à l’avance nos réactions. Toutefois, en tant que parent, évoquer la perspective d’un décès amorce le dialogue et permet de partager ses émotions, même sur un mode hypothétique. Tu sais que papy est très âgé. Il va avoir 95 ans la semaine prochaine. Tu te rends compte, presque un siècle ! C’est un âge où on arrive à la fin du chemin. Même s’il va bien, je dois penser que peut-être demain ou dans quelques mois, il ne sera plus là. Ça me rend triste et je pense que je vais beaucoup pleurer. Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
Faire le deuil des animaux de compagnie
Par ailleurs, dans les familles qui vivent avec des animaux, la mort est également évoquée, généralement dès l’adoption. Bien souvent, les parents préviennent les enfants qu’un accident ou une maladie est toujours probable et que les animaux vivent moins longtemps que les humains. De fait, les enfants, tout rendus à la joie d’accueillir un animal, ne tiennent que peu compte de cet avertissement. Mais lorsqu’un animal décède, on leur rappelle que leur longévité ne dépasse pas 5, 10 ou 15 ans et qu’ils étaient déjà vieux.
Quant aux morts accidentelles, elles soulignent notre impuissance, et non pas notre culpabilité. On aurait dû l’emmener plus tôt chez le vétérinaire. Si on avait pas traîné en chemin, on l’aurait trouvé avant qu’il meure… Ces expériences nous montrent quels sont nos réflexes, notre tendance à nous désigner comme coupable. Alors qu’il n’y avait simplement rien à faire et qu’il faut l’accepter ainsi pour continuer à vivre.
Dans tous les cas, il faut passer par le processus du deuil pour maîtriser la douleur de la perte.
Les différentes étapes du deuil
À l’effarement qui suit l’annonce de la mort suit un processus mental qui dure entre quelques semaines et quelques mois. De fait, il vise à « guérir » le manque, le vide laissé par la personne ou l’animal disparus. Différentes étapes jalonnent ce cheminement intérieur chez l’enfant, assez similaires à celles de l’adulte. Le célèbre modèle de Kübler-Ross qui identifie cinq étapes qui suivent l’annonce de la mort a été néanmoins remis en question. Les recherches empiriques ont montré que plusieurs sentiments s’entremêlent sans qu’il soit pertinent de leur donner un ordre. Cependant, la communauté scientifique s’accorde sur le fait que le principal symptôme du deuil est le manque et que celui-ci dure environ 6 mois.
De nombreux sentiments peuvent donc submerger les enfants lorsqu’on leur annonce la mort d’un proche :
- état de choc, sidération. D’abord, l’enfant refuse de croire ce qu’on lui dit, il espère que le mort n’est qu’endormi et va se réveiller. À l’opposé, l’enfant peut aussi ne manifester aucune émotion, comme si l’information ne lui était pas vraiment parvenue. Il adopte alors une position de déni.
- colère et recherche de responsabilité. L’enfant refuse la réalité, il échafaude des scénarios dans lesquels la personne ou l’animal aurait pu être sauvé.
- besoin de raconter des épisodes heureux, de regarder des photos, d’extérioriser ses émotions par le dessin, la fabrication d’un objet commémoratif. Il peut développer une sorte de fétichisme envers un objet ayant appartenu au mort et qui fait office de substitut (objet transitionnel).
- troubles somatiques. Lorsque l’enfant donne l’impression d’être indifférent à la perte, qu’il évite des conversations, ses émotions peuvent se manifester à son insu. On relève alors une hyperactivité ou au contraire une apathie. L’enfant présente une perte d’entrain, d’appétit, des troubles du sommeil et du transit, des maux de tête, une inattention en classe et à la maison etc.
La résolution du deuil prend du temps et peut ne jamais être complètement achevée. Chez l’enfant qui a perdu un parent, le deuil sera souvent réactualisé à l’âge adulte. Cela se produit à l’occasion d’expériences émotionnelles fortes comme une séparation, une naissance, un nouveau deuil, un échec. Ce nouvel évènement permet alors à l’adulte une restructuration psychique qui va intégrer le deuil et conduire à son acceptation.
Quand aborder le sujet de la mort avec son enfant ?
Les occasions de parler de la mort surgissent fréquemment au détour d’une histoire, d’un cadavre de mulot gisant sur le chemin…
Répondre aux questionnements des jeunes à propos de la mort
L’enfant n’attend pas de réponse préformatée à ses questions. Il veut connaître la position de ses parents concernant la mort : pour la définir, l’expliquer et la surmonter. Il va aussi mener ses propres expériences à travers le jeu avec ses camarades : jouer à tuer les autres et à mourir lui-même. Nous n’aimons pas les voir s’adonner à ce genre de jeux guerriers, tant ils font écho à l’actualité. Mais l’enfant, du moins en Occident, ne connaît pas la réalité de la guerre et ne reproduit pas des faits véridiques ou chargés d’affect. Il invente des combats à l’issue mortelle, sachant qu’après il partagera un goûter avec ses copains. Il abandonnera ce type de jeux lorsqu’il en aura épuisé tous les rôles : ceux du glorieux chevalier ou de l’habile inspectrice de police, comme ceux du dragon ou de l’horrible sorcière.
Parallèlement à cette activité de mise en scène imaginative, votre enfant vous posera certainement des questions spontanées sur la mort. Certaines auront un tour pragmatique : comment on sait que quelqu’un est mort ? Est-ce que ça fait mal ? Est-ce que vous (les parents) vous allez mourir ? Où met-on les morts ? Que devient le corps ? D’autres auront plutôt une tournure philosophique, religieuse ou spirituelle. Que devient-on après la mort ? Est-ce que papy et mamie peuvent toujours me voir ? Comment prier pour les défunts ? Est-ce que je retrouverais un jour les personnes et animaux que j’ai aimés ? À quoi sert mon amour si les personnes que j’aime sont mortes ?
Les conceptions de la mort varient en fonction des cultures et des individus
En fonction des convictions de chaque famille et de chaque individu, les conceptions et représentations de la mort varient. Certaines cultures croient en la réincarnation, d’autres au paradis, d’autres encore invoquent une forme d’énergie cosmique. Toutes ces perceptions de la mort insistent sur le maintien du lien avec le défunt. Il peut se trouver partout autour de nous ou nous accueillir lorsque notre propre vie touche à sa fin.
A contrario, une approche purement matérialiste évince tout espoir de communication en pensée ou de retrouvailles spirituelles. Et nécessite sans doute beaucoup de tact et de délicatesse pour la présenter à un enfant, sans heurter sa sensibilité émotionnelle. Il est plus simple de rester sur un doute prudent, plutôt que sur une assertion définitive. Ce qu’il y a après la mort ? Je ne sais pas puisque je suis toujours vivant. J’ai l’impression qu’il n’y a rien, mais je me trompe peut-être. Chacun est libre de penser ce qu’il veut et tu peux me partager tes idées, ça m’intéresse.
Informer l’enfant du décès d’un proche
À présent, comment s’y prendre pour annoncer le décès d’un proche à un enfant ? Existe-t-il des recommandations particulières des psychologues à ce sujet ? D’après un document ressource du Cn2R (centre national de ressources et de résilience), « il est important d’annoncer à un enfant, quel que soit son âge, qu’une personne importante dans sa vie est décédée. […] Cette parole vraie initiale facilitera l’évocation du défunt au fil des années. »
Les non-dits, le flou entraînent généralement une grande confusion et beaucoup d’anxiété chez
Cn2R*
l’enfant qui, dans tous les cas, se pose des questions et essaye de comprendre ce qui se passe. La vérité est souvent moins difficile à affronter que tout ce qu’un enfant, quel que soit son âge, peut s’imaginer.
Le Cn2R propose sur son site des clés pour mieux gérer l’annonce du décès. Afin que l’enfant ne se sente pas exclu et puisse comprendre rapidement ce qui se passe chez lui, il vaut mieux lui annoncer rapidement, en des termes simples (« mort » plutôt que « parti »). Il faut choisir un instant calme, éloigné de l’agitation qui suit parfois l’annonce d’une mort dans la famille (pleurs, coups de fils, longues conversations entre adultes…). De plus, il est recommandé d’être à deux pour qu’un second adulte intervienne en soutien. Si la nouvelle est trop difficile à verbaliser par le parent, un autre adulte d’importance pour l’enfant peut s’en charger, en présence du parent.
Par ailleurs, l’enfant se sentira d’autant plus autorisé à manifester ses émotions que l’adulte les manifeste lui-même, sans honte. En outre, dans une fratrie, on annoncera la nouvelle à tous les enfants pour qu’ils bénéficient des mêmes mots. Si l’écart d’âge est trop important, on pourra s’exprimer différemment et prendre chaque enfant à part.
©Canva Pro
Enfin, le Cn2R recommande de se placer à hauteur de son enfant, en proximité physique avec lui pour le réconforter, en le prenant dans ses bras, s’il le souhaite. On parlera lentement, avec des mots simples et en laissant tout le temps à l’enfant pour réagir et poser des questions. On commencera par une phrase d’amorce simple pour énoncer ensuite le décès de la personne, en évitant les détails (qui pourront venir plus tard). Puis on vérifiera que l’enfant à bien compris et si nécessaire, on répètera l’information les jours et semaines suivantes. Enfin, on se montrera bienveillant, rassurant et à l’écoute en accueillant les questions et émotions, pendant toute la durée du deuil.
Initier un dialogue familial autour du deuil pour accompagner sur le long terme
Après l’annonce, la gestion du décès d’un proche continue pendant la période de deuil. L’enfant va connaître plusieurs phases émotionnelles qui passeront de l’abattement à la colère, du déni à la résignation. Il est recommandé de poursuivre le dialogue autant de temps que nécessaire en laissant toutes les émotions s’exprimer. Vouloir tourner la page ou passer à autre chose trop vite peut laisser des séquelles sur l’enfant. Le deuil n’étant pas tout à fait résolu, des troubles divers peuvent le perturber pendant des années et se réactiver à l’adolescence ou à l’âge adulte.
Chaque enfant a sa manière à lui de réagir au stress de la mort. La parole reste le remède le plus efficace pour lutter contre l’anxiété.
Quelles activités et ressources peuvent aider un enfant à faire son deuil ?
Certaines activités peuvent contribuer à faire émerger la parole ou à exprimer des émotions.
Participer à la cérémonie de l’enterrement : à partir de quel âge ?
Ce qui compte principalement ce n’est pas tant l’âge de l’enfant mais le discours autour des funérailles. S’il est averti du déroulement de la cérémonie dans tous ses détails et qu’il désire y participer, il n’y a pas de motif valable pour l’en exclure. Bien au contraire, en participant à la cérémonie d’adieu, il peut progresser dans son deuil, se sentir soutenu et compris. Alors que si les parents refusent la présence de l’enfant, celui-ci se trouve relégué dans sa solitude et empêché de dire au revoir au même titre que les autres membres de sa famille.
Si l’enfant assiste à l’enterrement, il est bon de prévoir l’assistance d’un autre adulte afin de soutenir le parent. De même, on pensera à emporter le doudou et un petit jouet ou livre préféré pour rassurer l’enfant et l’occuper pendant les moments d’attente.
À noter également que l’enfant peut participer à l’organisation des funérailles en choisissant la musique, les fleurs, en faisant un dessin ou en écrivant un poème à déposer sur le cercueil. Tous ces détails et gestes contribuent à préparer la séparation définitive d’avec le défunt.
Créer un lieu de mémoire et de recueillement à la maison
Selon les désirs et besoins de chacun, la création d’un petit autel à la mémoire du mort peut trouver sa place dans une pièce commune. Bien sûr l’agencement et l’animation de ce mémorial temporaire dépendent de l’envie de l’enfant. L’idée doit venir de lui et non lui être imposée. Si ce sont les adultes qui l’érigent, les enfants pourront décider d’y participer ou non. L’idée est de créer un espace dédié au mort qui comprend des photos, des objets symbolisant la personne, des fleurs etc. Seul ou en famille, l’enfant peut s’y recueillir pour méditer et raviver des souvenirs heureux.
Bien souvent les vivants se sentent coupables d’être toujours là, de continuer à vivre tandis que les êtres chers sont partis. Penser à eux, prendre le temps de discuter avec les proches, rire en se rappelant les petites habitudes… C’est une manière de prolonger la présence du mort, mais aussi de préparer les obsèques. On pourra décider de déplacer l’autel sur la tombe pour poursuivre le travail de deuil. L’enfant sera content de retrouver les objets qu’il avait choisis ou d’en définir de nouveau plus pérennes comme une plaque commémorative.
©Canva Pro
Pour les croyants, le temps qui précède l’enterrement ou la crémation varie d’une religion à l’autre. Parfois, la famille entière se déplace pour voir le mort avant qu’il ne soit définitivement emporté. Cela peut être un moment éprouvant et il est essentiel d’expliquer en amont l’ensemble des rituels. Il est important de vérifier si l’enfant souhaite y assister ou non, partiellement ou complètement. En outre, en l’absence d’explications, il risque d’être fortement impressionné et embarqué contre son gré dans un processus inquiétant, car totalement inconnu.
Favoriser les activités d’expression et de création
Afin que l’enfant fasse son deuil à la mesure de ses ressources mentales, sans lui imposer un décorum adulte, on peut lui proposer de s’exprimer par la création. L’art-thérapie stipule que la création permet de sublimer ses émotions et ses sentiments à travers une expression artistique. Selon Freud, l’art est un exutoire qui sublime les passions et les guérit en les sortant de soi.
Le célèbre auteur-illustrateur jeunesse Grégoire Solotareff (Loulou, Odile, Le petit chaperon vert…) témoigne de sa démarche créative dans un récent article dans Télérama. Il explique combien l’image de l’oncle de Loulou étendu “raide mort” puis celle de son enterrement ont marqué des générations d’enfants. De fait, Solotareff convoque dans son dessin une richesse de références qui alimente le plaisir de la lecture et nourrit la réflexion sur la mort. Loin des épanchements médiatiques, l’artiste « croi[t] profondément qu’on n’est pas obligé de les extérioriser [les émotions]. Il est plus intéressant […] de les manifester sur le plan artistique, plutôt que de les exposer à grands cris aux autres dans la vie courante. »
Bien sûr, il ne s’agit pas d’empêcher l’enfant de verbaliser sa souffrance, mais plutôt d’envisager le droit à la pudeur et la sublimation par l’art. En conséquence, un enfant qui ne souhaite pas s’exprimer verbalement peut le faire de diverses autres manières.
Ainsi, un parent vigilant portera son attention sur les comportements de son enfant, sur ses productions graphiques, ses expressions corporelles etc. Leur portée symbolique peut recouvrir un prisme d’émotions tout aussi riche que la parole. Pour se faire comprendre, l’adulte emploie des mots simples et précis et il veille à ne pas inonder son enfant d’un discours continuel. Justement pour laisser l’espace, le creux nécessaire pour y glisser sa façon à lui de vivre les événements. Il a ressorti une vieille boîte de Lego 1er âge alors qu’il a 10 ans ? Peut-être y jouait-il avec sa grand-mère quand elle venait le chercher le vendredi soir à la maternelle. Il a envie d’apprendre la mécanique comme pépé ? Encore un moyen de se rapprocher du défunt.
En outre, le dessin, la peinture, le modelage, le théâtre, la danse, les jeux d’imitation donnent libre court à l’imagination. Ces activités mettent en action et autorisent la fantaisie, l’incongruité, le bizarre même. De manière consciente ou inconsciente, l’enfant fait sortir de lui des idées douces, tristes ou violentes. D’une manière générale, l’art facilite le processus de résilience qui conduit à surmonter la douleur du manque.
Gérer ses émotions grâce à la relaxation
Un autre moyen efficace pour lutter contre le stress réside dans la relaxation. La pratique d’exercices respiratoires et de la méditation en pleine conscience favorise une meilleure maîtrise de soi et de son environnement. Dans les périodes de grande anxiété, ils font retomber la pression et confèrent une bonne préparation pour affronter les moments difficiles, comme les funérailles. Le décès d’un grand-parent modifie le quotidien. Il n’y a plus d’appels téléphoniques, plus de repas du dimanche ou de vacances à la campagne. Les mois passent et l’absence reste.
Afin d’aborder plus sereinement tous ces micro-événements qui rappellent l’absence de l’être aimé, les activités pour retrouver le calme intérieur constituent une grande aide. Pour les adultes comme pour les enfants. D’ailleurs, pratiquées en familles, ces activités contribuent aussi à souder un lien d’attachement plus fort. Solidaires dans l’adversité, parents et enfants sont plus aptes à intégrer la disparition d’un proche.
©Canva Pro
Ressources complémentaires pour aborder la mort et le deuil en famille
Des livres pour vivre des émotions et réfléchir à la mort
L’annonce d’un décès, d’une personne ou d’un animal, n’est pas le meilleur moment pour lire un album sur la mort. Il y a un risque de redondance et d’appropriation par le texte de la douleur de l’enfant. En revanche, on peut lire à tout moment ce type d’ouvrage afin d’aborder ce thème fondamental.
D’ailleurs à bien y regarder, de nombreuses oeuvres jeunesse parlent de la mort, notamment en mettant en scène des orphelins. Comment ne pas penser au célébrissime Harry Potter ! Le jeune sorcier est confronté au deuil de ses parents à de multiples reprises au cours de l’intrigue. En particulier, la scène du Miroir de Risèd révèle son profond désir de retrouver son père et sa mère, marquant par-là un deuil non résolu. Harry a été élevé dans une famille qui lui a caché les circonstances de la mort de ses parents. Il ignore ses origines et ce secret a de lourdes conséquences sur son existence (repli sur soi, manque de confiance, mélancolie…).
Des albums jeunesse qui abordent le deuil
Il est impossible de donner une liste exhaustive des références de qualité sur le thème du deuil et de la mort, tant les ouvrages sont nombreux. Nous en avons retenu neuf, trois pour les 3-6 ans, trois pour les 6-8 ans et trois pour les 8-11 ans :
- Oiseau est mort de Tiny Fisscher et Herma Starreveld (Ed. Rue du Monde). Chaque animal de la forêt se questionne sur la cause du décès de Oiseau. Ils s’interrogent sur la marche à suivre, la cérémonie de l’enterrement et évoquent leurs souvenirs du défunt. Certains l’appréciaient, d’autres non… Une palette d’émotions qui permet aux plus jeunes de mettre des mots et des images sur ce qu’ils ressentent. À partir de 4 ans.
- Au revoir Blaireau de Susan Varley (Gallimard Jeunesse). Blaireau ne répond pas quand ses amis toquent à sa porte. Que s’est-il passé ? Que faire à présent qu’il est mort ? À partir de 4 ans.
- La croûte de Charlotte Moundlic et Oliver Tallec (Flammarion Père Castor). Maman est morte, comment continuer à vivre sans l’oublier ? À partir de 3 ans.
- Tout près de toi de Mark Janssen (l’école des loisirs). La grand-mère de Babou lui a promis qu’elle serait toujours près de lui. Que cela signifie-t-il à présent qu’elle est morte ? À partir de 6 ans.
- Raoul – T’aurais pu prévenir avant de partir… de Michel Van Zeveren (l’école des loisirs). Raoul continue de dialoguer avec Papipa qui est mort. Il a beaucoup de questions à lui poser avant de lui dire définitivement au revoir. À partir de 6 ans.
- Le Jardin d’Evan de Brian Lies. le chien d’Evan, son fidèle compagnon du quotidien, est mort. Comment continuer à vaquer à ses occupations dans le jardin sans son aide et sa douce présence ? À partir de 6 ans. (format à l’italienne, couverture tronquée dans l’aperçu).
- Le petit pêcheur et le squelette de Chen Jiang Hong (l’école des loisirs) : un petit garçon brave la tempête pour pêcher en mer, mais doit fuir un squelette qui cherche à monter sur son bateau. De retour dans sa cahutte, le squelette est toujours là. Il a froid, il a faim et s’avère finalement amical et de bon conseil pour la pêche. À partir de 8 ans. (format à l’italienne, couverture tronquée dans l’aperçu).
- Nos petits enterrements de Ulf Huett Nilsson et Eva Ericksson (l’école des loisirs) : trois enfants décident d’enterrer les animaux morts qu’ils trouvent dans la nature. Ils creusent, écrivent des poèmes inspirés et ont le sentiment d’accomplir une digne mission. À partir de 8 ans.
- La visite de Petite Mort de Kitty Crowther (école des loisirs). Petite Mort vient chercher Elsewise, une petite fille malade qui l’accueille avec soulagement. L’autrice-illustratrice par ses mots et ses images traduit la palette d’émotions qui traversent les personnages face à la mort. À partir de 8 ans.
Des romans pour les plus grands
La mort intervient fréquemment dans les récits, qu’ils soient réalistes, d’aventures ou fantastiques. Parfois les genres se mêlent pour ouvrir vers une richesse d’interprétations.
- Un piano pour Pavel de Mimi Doynet (Nathan). À travers le témoignage des objets qui croisent l’enfant sur le chemin d’un nouveau départ, on découvre progressivement que le jeune pianiste a perdu ses parents et va s’installer dans une nouvelle famille. À partir de 7 ans.
- Adieu tante Aimée de Agnès Mathieu-Daudé et Soledad Bravi (Neuf, l’école des loisirs). Le décès de la grand tante Aimée amène avec lui un grand événement : le premier enterrement du narrateur. Avec humour, l’autrice en profite pour aborder les petits détails qui intéressent les enfants pour se projeter dans la réalité. À partir de 9 ans.
- Courir avec des ailes de géant d’Hélène Montardre (Rageot). Glenn partage sa passion pour la course avec son père. Lorsque celui-ci meurt dans un accident d’avion, il doit quitter l’Australie pour vivre chez ses grands-parents maternels à Toulouse. Son grand-père va l’aider à surmonter sa douleur. À partir de 10 ans.
Des films qui évoquent la mort pour les 6-12 ans
Au cinéma, on trouve des films formidables, souvent tristes, parfois drôles qui traitent du deuil ou de la mort. Ils sont plutôt à visionner à distance du décès pour se familiariser avec un sujet complexe ou pour enrichir ses perspectives. On peut citer plusieurs films de Disney comme Bambi (1942) de David Hand, Le Roi Lion (1994) de Rob Minkoff et Roger Allers, Vaïana (2016) de Ron Clements et John Musker, Là-haut (2016) de Pete Docter et Bob Peterson, ou encore Coco de Lee Unkrich et Adrian Molina… Tous ces films d’animation voient des mères, des pères et des grand-mères perdre la vie et pousser les enfants à accomplir leur destin. Parmi les réalisateurs américains, Tim Burton est le champion des films mortuaires avec Noces funèbres, Frankenweenie, Miss Peregrine et les enfants particuliers, tout comme son comparse Henri Selick qui réalise L’étrange Noël de Monsieur Jack (1993) et Coraline (2009).
En outre, les studios japonais ont produit un certain nombre de films mettant en scène la mort avec une esthétique teintée de poésie et d’une forte spiritualité. On pense bien sûr aux films de Hayao Miyazaki, dont seul Totoro (1988) et Ponyo (2008) conviennent aux plus jeunes. Les autres films s’adressent à un public pré-adolescent, voire adulte, tant ils sont longs, complexes et éprouvants émotionnellement : Le vent se lève (2013), Le garçon et le héron (2023), etc. Enfin, d’autres réalisateurs japonais ont largement traité la thématique de la mort, comme Isao Takahata avec Le tombeau des lucioles (1988), Mamoru Hosoda avec Ame et Yuki (2012), ou encore Hiromasa Yonebayashi avec Souvenirs de Marnie (2014). Encore une fois, ces films s’adressent à un public de 10 ans et plus.
L’animation française recèle de jolies perles aussi avec Kérity, la maison des contes (2009) de Dominique Monféry, Zombillenium (2017) de Arthur de Pins et Alexis Ducord , Ma vie de courgette (2016) de Claude Barras et le tout récent Linda veut du poulet (2023) de Chiara Malta, et Sébastien Laudenbach.
Se faire aider par un professionnel de la santé mentale
Si vous éprouvez des difficulté à aborder le sujet de la mort et du deuil avec votre enfant. Si vous avez l’impression que votre enfant est dépressif, qu’il souffre de troubles du comportement récurrents, qu’il dort mal et fait des cauchemars après la mort d’un proche. Dans tous ces cas et dès lors que vous vous sentez démuni, un professionnel de l’enfance, psychologue ou psychiatre peut vous aider. Renseignez-vous auprès de votre médecin ou pédiatre pour trouver le bon spécialiste. Un soutien psychologique pour les parents comme pour les enfants débloque des situations de non-dits et de malentendus. Le thérapeute adapte ses méthodes à chaque situation et individu. Il écoute, rassure et donne des conseils pour avancer dans son deuil.
Peut-être avez-vous déjà été concerné, une ou plusieurs fois, par le décès d’un proche ? Comment l’avez-vous annoncé à vos enfants et quels conseils donneriez-vous aux parents qui vivent actuellement cette épreuve ? Si vous voulez partager votre expérience, nous attendons vos messages et réactions sur nos différents canaux (FB, Instagram).
*Le Cn2R (Centre national de ressources et de résilience), a été créé en juillet 2019. Il est constitué en groupement d’intérêt public (GIP) entre l’État, l’École nationale de la magistrature (ENM), le Centre national de recherche scientifique (CNRS) et 2 établissements pilotes (CHU de Lille et AP-HP).