La politesse dépassée ? Que nenni ! Ce n’est pas parce que le tutoiement s’est généralisé dans toutes les sphères de la vie, que pour autant les gros mots doivent triompher. La correction de la langue regroupe tout à la fois le parler juste, le savoir-vivre et le respect d’autrui. Mais surtout, ravaler les gros mots qui cherchent à s’échapper lors des moments de tension indique une capacité de maîtrise de soi. Une compétence psycho-sociale liée à la gestion des émotions que les enfants vivent souvent avec beaucoup d’intensité. Comment faire pour les aider à s’exprimer autrement que par des gros mots ? (Et éviter le regard courroucé de la voisine ou du boulanger en cas d’éclosion verbale non appropriée…)
Pourquoi les enfants disent des gros mots ?
C’est vrai ça pourquoi en disent-ils autant et tout le temps ? Soyons honnêtes avec nous-mêmes : ils n’en disent sans doute pas plus que nous ! Et c’est souvent dans des situations analogues : en cas d’énervement, de contrariété, de joie intense, pour choquer ou blesser… Parfois même les enfants disent des gros mots pour s’amuser, sans même en connaître le sens. Commençons déjà par accepter la présence de ces mots vulgaires qui peuvent survenir en diverses occasions et lieux.
Les enfants imitent les grands…
Force est d’admettre que les enfants répètent les mots qu’ils entendent, et pas que les « mauvais ». À la maison, dans la rue, dans la cour de récréation… Ceux des adultes, ceux des copains, les expressions des histoires lues et entendues… Les mots sont partout, à entendre d’abord, à lire ensuite. Et ils empruntent à différents registres de langue. Vous vous souvenez : familier, courant, soutenu ? Ce que l’école passe sous silence c’est la quatrième catégorie : celle du vulgaire (pourtant présente dans le dictionnaire !). Les gros mots font donc partie de notre langue, ils sont mêmes culturels si on les compare à d’autres langues. Chacune comporte son panel d’horreurs fleuries, la plupart scatologiques ou connotées sexuellement.
Finalement, bien plus que le mot lui-même, qui n’est pas jugé pour son esthétique, ce sont bien les allusions qui dérangent. A fortiori dans la bouche d’un enfant. Nous touchons là à deux problèmes.
D’où viennent les gros mots ?
Premièrement, le registre pipi-caca nous fait bondir en société car nous sommes gênés (pas eux, hein !). Une des conventions du savoir vivre est de reléguer les questions métaboliques à la sphère du privé. Nous agissons en société comme si tout cela n’existait pas. C’est pourquoi il est difficile à un enfant de comprendre qu’à la maison il a le droit d’en parler, mais pas en dehors. Afin de tester la limite dedans/dehors, il peut alors « lâcher » des gros mots pour mettre à l’épreuve cette séparation. Et c’est tellement drôle de voir la tête des parents quand dans la queue de la pharmacie le mot « prout » a été prononcé un peu trop fort !
Par ailleurs, la psychanalyse nous éclaire aussi à ce sujet. Elle fait état d’une phase anale dans le développement de l’enfant qui succède au stade oral du bébé. Cette phase correspond à la maîtrise sphinctérienne et à l’acquisition de la propreté. Il n’est donc pas étonnant que les enfants entre 3 et 6 ans multiplient les blagues et allusions aux nouvelles fonctions qu’ils maîtrisent !
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Deuxièmement, nous adoptons souvent une position plus radicale concernant les gros mots à connotation sexuelle. À juste titre, nous estimons qu’un enfant doit être tenu en dehors de ces allusions qui ne sont pas de son âge. D’ailleurs, ces mots sont répétés sans qu’ils ne fassent sens pour l’enfant. Évitons donc de leur donner trop d’importance en sur-réagissant à leur écoute. Et essayons de nous contrôler et de montrer l’exemple pour bouter ces quelques grossièretés de notre langage courant.
Qu’est-ce que la politesse et comment l’expliquer aux enfants ?
La politesse comme principe éducatif ?
Il s’agit de montrer que nous respectons tous, adultes comme enfants, les mêmes règles de politesse. Si nous tolérons quelques écarts chez les enfants, la société attend néanmoins des parents qu’ils leur inculquent les règles de base du vivre ensemble. C’est pourquoi nous pouvons nous sentir stigmatisés et jugés lorsque nos enfants disent des gros mots. Et le premier qualificatif qui nous vient à l’esprit est « mal élevés ». Ce serait donc toute notre éducation qui pâtirait d’un jugement négatif à la seule énonciation d’un gros mot. Or si on considère la production littéraire des dernières années, les titres abordant la problématique des gros mots dans les albums jeunesse sont pléthores. Les mauvais parents sont-ils si nombreux ?
Cessons de culpabiliser pour nous recentrer sur la politesse. L’origine de ce mot en dit long sur sa vocation. De l’italien politezza (propreté) et du latin politus (lisse), la politesse cherche à favoriser des rapports courtois entre individus au sein de la société. Cela comporte donc l’idée d’éviter le conflit, la violence, mais aussi de promouvoir un traitement égalitaire dans les relations interpersonnelles. On s’adressera à toute personne avec des formules de politesse consacrées. S’il-vous-plait, merci, bonjour, au revoir étant les plus répandues.
Apprendre aux enfants à reléguer les gros mots dans la sphère privée
On présentera donc la politesse aux enfants comme un ensemble de règles de communication entre individus. Si l’on conserve certaines conventions à la maison, elles valent surtout à l’extérieur. Et parmi ces règles, on trouve le tabou du gros mot, dépassant le registre familier et donc nécessairement relégué à la sphère privée. Comme toute personne, les enfants y sont assujettis, avec toutefois la souplesse que confère l’apprentissage.
Dans un premier temps, chez le tout-petit, il est nécessaire d’identifier avec lui les gros mots. Lorsqu’il en prononce un pour la première fois, il ne faut pas le gronder car il en ignore la portée subversive. Il faut lui expliquer qu’il existe des mots qui se disent et d’autres qui ne se disent pas en public. Ces mots peuvent être perçus comme déplaisants, agressifs et générer des comportements désagréables, voire excessifs (colère, emportement des adultes).
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Il vaut mieux donc éviter de les dire en public. L’enfant comprend alors qu’on lui rend service en l’aidant à distinguer ce qui est correct de ce qui ne l’est pas. Il a conscience que l’extérieur est peuplé de gens dont il ne comprend pas les réactions. Il doit donc se méfier de ce qu’il dit afin de ne pas créer de malentendu ou de situation embarrassante.
Gérer ses émotions pour mieux contrôler les gros mots
Cependant, lorsque l’enfant cède à la colère, il peut employer des gros mots. Inutile de se fâcher dans ces situations déjà tendues. Quand l’enfant s’emporte, il devient difficile à raisonner et le gronder pour l’emploi de gros mots ne résout rien. Mieux vaut chercher à l’orienter vers la gestion de ses émotions pour agir en amont. Cela peut passer par de la méditation, des séances de yoga, de la sophrologie, des techniques de relaxation, des temps calmes, la gestion du stress grâce à la respiration etc. À vous de voir avec lui ce qui l’aide au mieux pour gérer ces moments de crise. Après un retour au calme, il sera toujours temps de discuter de l’emploi des gros mots, finalement symptômes de sa colère tout comme les cris, l’agitation etc.
Comment réagir quand mon enfant dit des gros mots ?
En fonction du contexte et de la situation, nous n’allons pas réagir de la même façon face aux gros mots de nos enfants. Dans tous les cas, mieux vaut rester calmes et fermes… et éviter de rire ! Il faut reconnaître que parfois l’incongruité de certains mots force le sourire. Mais dans ces cas-là, nous envoyons un message contradictoire à l’enfant. Est-ce que c’est drôle de dire des gros mots ? Ou est-ce que c’est interdit ? Si on ne pose pas cette notion d’interdit, on risque de ne pas comprendre la portée subversive d’un gros mot. C’est bien pour cela qu’il est « difficile à combattre » !
Les gros mots à la maison
Si votre enfant ne dit des gros mots qu’à la maison, c’est qu’il a compris que c’était interdit à l’extérieur. C’est déjà un bon point pour lui ! Cependant, vous ne cessez d’entendre un florilège de mots inconvenants à table ou entre frères et soeurs ? Que faire ?
Souvent l’enfant ne se rend pas compte de la quantité de gros mots qu’il prononce. Vous pouvez le mettre devant le fait accompli en glissant un bout de papier dans un bocal à chaque fois que vous en entendez un. Vous l’amènerez ainsi à prendre conscience de ses excès. Ensuite, vous pouvez exiger des excuses pour chaque gros mot. Il s’agit d’une règle de politesse qui doit devenir un réflexe.
Puis vous pouvez discuter avec lui des alternatives proposées par la langue française. Celle-ci regorge d’expressions anciennes amusantes comme : diantre, palsambleu, testigué, palsenguienne, ventre bleu, boudiou, morbleu etc. En outre, les néologismes d’Alfred Jarry qui essaiment son Ubu Roi, font aussi la part belle aux interjections comme « cornegidouille », dont s’est probablement inspiré Pierre Bertrand pour Cornebidouille. D’ailleurs dans cette série d’albums pour enfants, on trouve de nombreuses expressions facilement réutilisables pour manifester son emportement, à l’image de la terrible sorcière aux cheveux verts. Nom d’une tripette de vieille biquette à sonnette !
Enfin, à la maison, on peut proposer aux enfants qu’ils s’isolent dans leur chambre ou aux toilettes si l’envie leur prend de dire quelques gros mots. Avec une mention spéciale pour les cabinets, lieu où l’on peut se soulager de ces vilains mots.
Comment gérer les grossièretés des enfants en public ?
La question parait plus délicate en public. Comment éviter les gros mots ? La première action concerne la prévention. Avant de se rendre dans un lieu extérieur à la maison, on prévient l’enfant qu’il va devoir se contrôler. Et nous ne manquons pas de lui préciser que nous aussi adultes serons vigilants à contrôler notre langage.
Cependant, malgré ces préventions, un gros mot peut surgir inopinément… Dans ce cas-là, il vaut mieux agir avec discrétion pour ne pas mettre mal à l’aise l’enfant outre mesure. Vous pouvez lui signifier du regard qu’il a dépassé les limites et qu’il doit faire amende honorable. Un « pardon » règlera l’affaire prestement. Si votre enfant entre dans une colère noire et qu’il ne se maîtrise plus, entraînez-le dans un espace au calme ou aux toilettes pour lui éviter les regards désapprobateurs. Un enfant en colère a souvent honte de lui-même. En le soustrayant au jugement extérieur, vous l’aidez à retrouver son calme. Après une mise au point et un gros câlin tout devrait rentrer dans l’ordre.
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Inutile de faire vous-même un scandale en public, vous attireriez aussi des regards désagréables. Classez vite l’affaire, quitte à y revenir en dehors de tout jugement extérieur, une fois de retour à la maison. Ainsi, vous montrez à votre enfant que vous le respectez. Vous ne cherchez pas à le mettre en difficulté face à des inconnus. Mais vous n’oubliez pas pour autant les erreurs qui méritent un rappel des règles.
Quelques astuces pour éviter les gros mots
Pour terminer, voici quelques astuces pour contourner les situations délicates. Vos oreilles ont-elles bien entendu ? Et votre voisin de table au restaurant a-t-il réalisé ce que votre enfant vient de claironner ?
Peut-être pourriez-vous :
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- faire mine de ne pas avoir entendu. Cela évite d’entrer en conflit et de donner trop d’importance à ces mots souvent dits pour titiller les parents : Que va dire papa ? Comment va réagir maman ? Ah tiens, ils ne font rien ! Bon ben passons à autre chose…
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- reformuler avec des mots corrects : Ce devoir est ch… – Ah bon ce devoir est pénible, qu’est-ce qui te pose problème ?
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- transformer les gros mots en mots acceptables ou inventés : Butin de merle (rendu célèbre par la série The good place où les gros mots sont systématiquement censurés), poulain de mer, mercredi etc ;
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- demander la signification du mot : bien souvent l’enfant ignore le sens réel du gros mot qu’il emploie ;
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- interroger sur l’origine du mot : où a-t-il été entendu ? qui l’a prononcé ? pour tenter de comprendre le contexte et réfléchir à des alternatives ;
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- proposer un carnet à gros mots : l’enfant a droit d’y écrire tout ce qu’il veut, sur le modèle du journal intime ;
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- réagir en simulant une douleur aux oreilles : Aïe ce mot-là me fait mal aux oreilles, aurais-tu un mot plus doux ?
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- spécifier des espaces où les gros mots sont autorisés, car il est important de décharger ses émotions : dans un coin de la maison, aux toilettes ;
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