Largement inspiré du merveilleux du conte, le genre fantastique en littérature jeunesse charme lecteurs et auditeurs. Magie, sorcellerie, dragons, mondes parallèles, les histoires regorgent d’aventures investies par de jeunes héros souvent embarqués dans une quête initiatique. Qu’est-ce que le fantastique ? Quelles sont les tendances lourdes de l’édition et les nouveautés du moment ? Qui sont les lecteurs de littérature fantastique et que recherchent-ils ?
Conte merveilleux, fantastique et fantasy : des univers surnaturels et inquiétants
Le conte crée un univers surnaturel total
La tradition du conte folklorique peuplé de sorcières et d’ogres remonte à la nuit des temps. La magie justifiait l’étrange, les manifestations et événements incompris. Bien que les sciences aient clarifié nombre de ces bizarreries aux yeux des humains, l’attrait pour le surnaturel perdure. Il n’y a pas toujours d’explication immédiatement accessible et l’imagination a tôt fait de combler les lacunes de la raison.
Dans l’univers du conte, le merveilleux englobe un monde surnaturel jamais remis en question. Il existe de fait et les personnages ne s’étonnent guère de voir surgir une fée qui exauce les voeux. Ancré dans un univers médiéval et rural (Jack et le haricot magique…), le conte est un système archétypal où le héros s’engage dans une quête (Le Vaillant petit tailleur, L’Oiseau de feu…). Il doit délivrer une princesse, prouver sa bravoure, son courage, sa hardiesse etc. En outre, il ressort souvent vainqueur après un périple (Le grand voyage de Nils Holgersson, codifié et souvent rythmé en trois temps (enthousiasme, échec, réussite).
Le fantastique met en scène l’étrange dans un monde familier
Si le genre fantastique s’inspire du surnaturel du conte, il en dévie sur plusieurs points. Pour commencer, le genre fantastique prend son essor au XIXème siècle avec Edgar Allan Poe, Maupassant, Gérard de Nerval, Théophile Gautier etc. Ensuite, il s’inscrit dans un temps historique où les sciences font des progrès fulgurants. Le conte défie justement la rationalité croissante de ce nouveau monde d’acier et de vapeur.
Edgar Allan Poe, juin 1849 (Wikipédia)
Ainsi, dans la nouvelle ou le roman fantastique, le surnaturel surgit brutalement dans un monde familier. Il est toujours perçu comme inquiétant et comme une résurgence de traditions ancestrales, mythologiques ou légendaires. Ainsi, le diable prend diverses formes tentatrices, les fantômes hantent les manoirs et les esprits tourmentent les vivants. Le doute envahit les héros jusqu’à la folie comme le narrateur du Horla de Maupassant.
La fantasy allie merveilleux et fantastique
En littérature jeunesse, seuls les contes empruntent au surnaturel, jusqu’au XXème siècle qui voit l’avènement du genre fantastique pour les plus jeunes. Et avec lui une sorte de fusion/filiation entre le conte et le fantastique, à savoir la fantasy. On trouve alors plusieurs sous-genres comme l’heroic fantasy, la dark fantasy, l’animal fantasy ou la fairy tale fantasy, réservées plutôt aux adolescents et adultes. Le développement des univers transmédias (cinéma, séries audiovisuelles, sites de fans, podcasts…) participe aussi de ce nouveau genre très prisé.
Il concerne des univers très complets comme Le Seigneur des anneaux de Tolkien, Le monde de Narnia de C. S. Lewis, Les royaumes du Nord de Philip Pullman et bien sûr Harry Potter de J. K. Rowling. Quand on parle de fantastique en littérature jeunesse aujourd’hui on comprend également la fantasy et ses sous-genres. Tout comme dans le conte, la fantasy peut dérouler des univers imaginaires complets, uniques ou multiples dans le cas de mondes parallèles.
Littérature fantastique : pour quel âge et quel type de lecteur ?
Si l’âge indiqué par les éditeurs constitue une aide pour choisir les ouvrages destinés à la jeunesse, il n’en demeure pas moins que chaque lecteur est unique. Et susceptible de lire des histoires référencées dans différentes catégories de genre et d’âge.
Le fantastique est-il réservé aux grands enfants ?
D’une manière générale, le fantastique en jeunesse concerne plutôt les 10 ans et plus. Traditionnellement, les romans proposés aux plus jeunes lecteurs empruntent davantage au quotidien et au réel. Et la production littéraire semble privilégier les genres réaliste et aventures pour les 6-8 ans. ll y a sans doute une certaine frilosité à faire plonger les plus jeunes dans l’étrange, l’inquiétant, le paradoxal. Depuis la critique des images d’albums jugées potentiellement traumatisantes par Françoise Dolto en 1972 (affaire Ruy Vidal), la tendance générale a été de confiner les plus jeunes à des univers doux et aux illustrations non violentes. Par extension, les romans ont suivi également cette tendance à l’évitement des représentations équivoques et inquiétantes.
De plus, l’idée plane que les compétences d’un lecteur débutant ne permettraient pas aux enfants de distinguer la fiction du réel. Ce qui les exposerait d’autant plus à être perturbés par des univers surnaturels. Or, ce ne sont ici que des positions qui n’ont pas de fondements théoriques. D’ailleurs, des chercheurs en didactique ont prouvé que les capacités d’interprétation des textes existaient dès la maternelle. L’enfant ne se contente pas de comprendre littéralement une histoire, il l’interprète avec ses propres références. De plus, la fréquentation des oeuvres dont le sens n’est pas immédiatement accessible (symbolisme) développe les capacités d’attention et d’analyse. Et donc les compétences de futur lecteur. En outre, chaque enfant est différent et chaque parent connait ses besoins et ses attentes. Ils peuvent librement choisir les histoires qui conviennent le mieux.
Parallèlement, les albums et les premières lectures font la part belle aux personnages d’animaux. En cela, ils empruntent au registre fantastique l’anthropomorphisme des créatures magiques, douées de raison et de parole. En la matière la liste des oeuvres de références est infinie ! On y trouve aussi bien Babar que Petit Ours Brun. Et la tradition se perpétue avec des nouveaux héros. On peut citer Simon créé par Stéphanie Blake (l’école des loisirs). Ou encore Professeur Goupil de Loïc Clément et Anne Montel (Little Urban). Enfin, les podcasts et histoires audio mettent aussi en scène des petits héros à poils ou à plumes et même à carapace comme Mademoiselle Scarabée.
Du fantastique pour les plus jeunes aussi !
Dans cette optique, certains éditeurs ont donné à des auteurs la possibilité d’écrire du fantastique pour les plus jeunes.
Partant du principe que les enfants connaissent l’univers du conte dès leur plus jeune âge, il devient dès lors possible de proposer à un jeune lectorat des intrigues fantastiques. Initiés, les enfants sont parfaitement capables de distinguer réel et imaginaire. Et de s’en amuser ! Jouer à se faire peur, se déguiser en vampire ou en fantôme font partie des jeux enfantins. De même les pièces de théâtre et les films mettant en scène des sorcières (Amandine Malabul), des ogres (Shrek) et des monstres (Monstres et Cie) sont pléthores. Et ravissent les plus jeunes, souvent dans un registre humoristique d’ailleurs.
Détourner les contes, plonger dans le merveilleux et s’immerger dans des univers fantastiques s’adressent à tous les publics, auditeurs ou lecteurs autonomes. C’est aussi une façon d’appréhender ses émotions, la peur et le dégoût notamment, pour mieux les maîtriser. Ainsi, l’éventail des lectures possibles s’élargit.
Quels sont les classiques du fantastique et de la fantasy ?
Classiques d’hier et d’aujourd’hui, personnages récurrents de la presse jeunesse, les héros du fantastique peuplent les histoires des 4-12 ans.
Les héros aux pouvoirs magiques des 4-7 ans
Chez Bayard, les collections Mes premières belles histoires, Les Belles histoires et J’aime Lire, déclinent le fantastique en fée avec La fée Fifolette, en super héros cosmique tel que Sam Sam, en sorcière avec Zouk, ou encore en vampire avec Vampirette. Tour à tour drôles, incongrus et impertinents, ces petits héros sont dotés de pouvoirs qui servent toujours à se tirer d’affaire. Ils évoquent la fameuse pensée magique des enfants, celle qui multiplie les possibles et résous tous les problèmes !
De même, les podcasts Une histoire et Oli (France Inter), Les Histoires du pince oreille (France culture) et Le Confin des contes (France bleu) font la part belle au registre fantastique. On y trouve une grande variété thématique avec par exemple :
- L’arbre qui voulait voir le monde : un arbre parisien rêve d’ailleurs et surtout de nature ;
- Le petit pince se distingue de ses congénères par son unique pince bleue ;
- Un petit loup de plus : le hibou et le loup décident d’adopter un enfant né dans une famille pauvre ;
- La légende de Sadko, marchand de Novgorod : Sadko parvient à déjouer la malice du dieu des mers pour remporter la main d’une de ses filles ;
- Igor le troll guerrier : tout troll qu’il est, Igor a aussi ses propres peurs ;
- La plante carnivore de madame Machin : le narrateur assiste impuissant à l’appétit vorace de la plantes des voisins.
Par ailleurs, très récemment la vogue du frisson a repris de la vigueur et s’est répandue jusque dans les premières lectures. On trouve par exemple dans la collection Prem’s de Casterman La maison hantée de Nino et Zoé (Anaïs Vachez et Nancy Pena), Villa Mimosa (Ghislaine Biondi et Anne-Sophie Lanquetin) chez Magnard Jeunesse, Le Manoir de Méline (Juliette Vallery et Mauréen Poignonec) chez Bayard Jeunesse, ou encore Après minuit (Clémentine Mélois et Rudy Spiessert) à l’école des loisirs.
Chez Nathan, deux séries à partir de 6/7 ans évoluent dans un univers fantastique : Le Buveur d’encre d’Eric Sanvoisin et Martin Matje puis Olivier Latyk et Frissons au CP d’Anne-Gaëlle Balpe et Laurent Audouin. Dans un style orienté davantage aventures, La Cabane magique (Bayard Jeunesse) ravit les lecteurs débutants puis confirmés avec sa série de 55 tomes fondée sur le principe du voyage dans le temps. Tom et Léa découvrent tour à tour les dinosaures, les pyramides, Pompéi, Olympie etc.
Les séries et grandes sagas pour les 8-11 ans
Les classiques indémodables…
Parmi les romans fantastiques les plus lus et appréciés on trouve ceux de Roald Dahl, monument de la littérature jeunesse anglaise. De Charlie et la chocolaterie, en passant par le Bon Gros Géant et Sacrées sorcières, l’auteur britannique mêle allègrement merveilleux et fantastique dans des décors souvent imaginaires, mais parfois aussi bien ancrés dans le réel. Le fantastique confère à ses intrigues une ambiance inquiétante et les personnages qui les animent n’hésitent pas à passer les enfants à la moulinette !
Dans un registre plus humoristique mais tout aussi décalé, Pierre Gripari cultive l’ambiguïté de la cohabitation de deux mondes, l’un normal, l’autre surnaturel. On lui doit entre autres les Contes de la rue Broca et les Contes de la Folie-Méricourt (avec la Cinq fois belle, conte grec).
Avant le raz-de marée Harry Potter, la série Amandine Malabul de l’anglaise Jill Murphy (Gallimard Jeunesse) développait déjà le thème du monde parallèle des sorciers et de son école dédiée. À sa suite, J. K. Rowling reprend certains leitmotiv du merveilleux de conte (l’orphelin, la lutte contre le mal, les formules magiques, la quête initiatique…) et crée un univers unique avec ses lieux et ses coutumes, son langage, ses jeux sportifs…
Des univers fantastiques plus récents pour les 8 ans et plus
Plus récemment, des séries pour les enfants à partir de 8 ans ont rencontré de beaux succès :
- Hôtel des frissons de Vincent Villeminot, ill. Joëlle Dreidemy (10 tomes) chez Nathan ;
- Les fantastiques aventures de Sacré Coeur d’Amélie Sarn, ill. Laurent Audouin (13 tomes) chez Le petit lézard ;
- Mathieu Hidalf de Christophe Mauri, (6 tomes) chez Gallimard Jeunesse ;
- la thématique des dragons avec Harold et les dragons de Cressida Cowell, en 12 tomes chez Casterman, Les Royaumes de feu de Tui T. Sutherland, en 14 tomes chez Gallimard Jeunesse et Les dragons de Nalsara de Marie-Hélène Delval chez Bayard Jeunesse ;
- Les Tisseurs de rêve de Manon Fargeton, ill. Antonin Faure (4 tomes) chez Rageot ;
- Les aventuriers de l’étrange de Bertrand Puard (10 tomes) à la Bibliothèque verte…
À partir de 10 ans et sans limite d’âge, des romans fantastiques toujours aussi immersifs !
On ne peut pas tous les citer, mais voici un échantillon de superbes romans aux univers foisonnants et addictifs, accessibles aux bons lecteurs dès 10 ans :
- Les royaumes du Nord de Philip Pullman (Gallimard Jeunesse) trilogie ;
- La saga Harry Potter de J. K. Rowling lue du CE2, pour les plus précoces, à l’âge adulte ! (Gallimard Jeunesse) ;
- Roslend de Nathalie Somers (Didier Jeunesse), trilogie ;
- Tobie Lolness de Timothée de Fombelle (Gallimard Jeunesse), deux tomes ;
- La quête d’Ewilan de Pierre Botero (Rageot), trilogie ;
- Le livre des étoiles d’Erik L’Homme (Gallimard Jeunesse), trilogie ;
- Le club de l’ours polaire d’Alex Bell (Gallimard Jeunesse), 3 tomes ;
- Les sorcières du clan du Nord d’Irena Brignull (Gallimard Jeunesse), 2 tomes ;
- Le Manoir d’Évelyne Brisou-Pellen, (Bayard Jeunesse), 2 saisons, 12 tomes
- La guerre des clans d’Erin Hunter (pseudonyme de trois autrices) plusieurs cycles de plusieurs tomes chez Pocket…
Des univers fantastiques à partager en famille !
Le fantastique fait aussi partie de la culture populaire et les enfants y baignent tout autant que les adultes. Souvent ils connaissent les grandes sagas mondialement connues comme Star Wars, les super-héros de Marvel, les personnages des films du studio Ghibli… Avant même d’avoir vu le moindre film ou lu un comic ou une BD ! Tout petits déjà ils se déguisent en Spiderman ou Iron man, imitent Dark Vador ou le robot R2-D2, câlinent une peluche Totoro. Quand ils ne sont pas tombés dans la caisse de jouets de leurs parents qui regorgent de Shira, Musclor (1987) ou d’hommes des sables…
La fantasy est partout et nous adultes nous y référons souvent au quotidien pour illustrer des situations. On comparera un objet précieux à l’anneau de Sauron (Mon précieuuuuuux ! ). On s’exprimera en multipliant les inversions comme Yoda pour prodiguer des conseils (Tes chaussettes tu ramasseras ! )… Notre univers parental se nourrit de cette culture populaire et générationnelle des années 80 à 2000. L’histoire sans fin et sa chanson phare n’a pas finie de rebondir en échos successifs depuis sa création en 1984*. Et plus récemment, la saga Harry Potter voit ses premiers lecteurs devenir parents à leur tour et perpétuer leur passion pour Poudlard et le chemin de Traverse.
*Le roman allemand de Michael Ende date de 1979
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