Enseignante, blogueuse éducation et passionnée de littérature jeunesse, Lauriane a pour leitmotiv la pédagogie active, notamment par le théâtre, et la lecture pour tous. Retrouver tous ses articles
Cette semaine nous sommes allés interroger Antoni Fournier, producteur audio chez Bayard Jeunesse. Antoni est un passionné de musique classique et de littérature, qui a une vision transversale de l’audio jeunesse. Quand il s’empare d’un projet audio, il mobilise toutes les compétences et énergies pour aboutir à un résultat sur mesure pour les petites oreilles. Il nous explique ici les différentes étapes du processus de création de contenus audio et nous livre quelques anecdotes de ses expériences en studio.
Quel est le rôle du producteur audio de contenus pour enfants ?
« Il est intéressant de remonter aux origines des premiers enregistrements audio destinés aux enfants. Depuis les débuts du phonographe, les enfants sont d’emblée considérés comme des auditeurs potentiels de musique et d’histoires. Cette tradition s’est développée en Allemagne dans les années 1930 grâce à Alfred Döblin qui s’appuie alors sur la radio pour diffuser ses œuvres. La relation entre auteurs et radio alimente des pièces radiophoniques et on commence à trouver des versions audio des contes et histoires pour enfants. Des directeurs artistiques et des ingénieurs du son interviennent sur ces projets.
Aujourd’hui c’est le producteur audio qui harmonise l’ensemble du processus de sa conception à sa fabrication. C’est lui qui met en œuvre les moyens artistiques et techniques pour y parvenir, comme je le fais aujourd’hui chez Bayard pour valoriser un riche catalogue. Mes fonctions de producteur audio se situent à la frontière entre l’audio et l’édition. Mon objectif est d’illustrer une fiction ou un documentaire existant avec les spécificités de l’audio. D’une part, le son remplace l’image, d’autre part il crée de nouvelles possibilités de sens et d’interprétation. »
Quels ont été les critères de sélection des contenus Bayard pour le catalogue Merlin ?
« Nous avons travaillé de concert avec l’équipe Merlin pour identifier leurs besoins éditoriaux. L’objectif était de proposer une grande diversité de contenus, tant du point de vue de l’âge, que des thématiques. Ainsi, nous avons puisé dans nos collections d’histoires (Les Belles histoires, Mes Premières Belles Histoires, Histoires pour les petits, J’aime lire), mais aussi dans nos documentaires (Les animaux du monde, Mes Ptits docs), nos séances de yoga (Le yoga des enfants) et comptines anglaises (Hello Pomme d’Api).
L’équipe Merlin voulait que les enfants puissent accéder à une offre large de Bayard pour qu’ils aient l’occasion d’explorer différents univers et varier les temps d’écoute. Les enfants apprécient de se détendre avec une histoire. Mais ils sont aussi curieux de tout et se passionnent pour les documentaires. À condition de se donner les moyens de les mettre à leur portée. C’est bien là tout mon travail. Me mettre dans la peau d’un jeune auditeur et imaginer ce qu’il va comprendre, ressentir pour maximiser son plaisir d’écoute et sa compréhension. Je sais aussi que les enfants vont passer en boucle leurs contenus préférés. Il faut donc que l’illustration sonore soit riche, surprenante et ritualisée pour donner des points de repère.
C’est pourquoi je privilégie des enregistrements dynamiques. Parfois nous repartons de fichiers audio existant. Nous les modifions pour les remettre aux normes et leur ajoutons des jingles, des bruitages etc.
Ainsi, nous avons élaboré avec l’équipe Merlin une liste de contenus diversifiés ; et nous lui avons adjoint cinq créations sonores produites pour Merlin, comme Les Chevaliers et La Musique dans la série Mes P’tits docs. »
Quels sont les bénéfices de l’audio pour les enfants ?
« Les bénéfices de l’audio pour les enfants sont nombreux ! Tout d’abord il permet d’apprendre à écouter et plus globalement à s’écouter. C’est très important pour l’enfant de recevoir et de ne pas être toujours dans l’interaction. Les temps d’écoute sont des occasions de mettre le sens de la vision en pause. Ce qui n’est pas plus mal dans une société actuelle bombardée d’images. Avec l’audio, l’enfant est invité à penser, imaginer, se projeter, et ce avant de savoir lire. Pour moi, il s’agit d’une première étape pour se construire un monde à soi. Tout comme le bébé écoute puis reproduit ce qu’il a entendu. On dit souvent qu’un bébé exposé à la musique est stimulé dans son développement cognitif et que l’audio mûrit et nourrit son intelligence émotionnelle.
Avec les histoires et documentaires audio l’enfant d’âge maternel et primaire continue de se construire, d’apprendre, parallèlement et en collaboration avec le monde de l’écrit. Ainsi, on sait maintenant grâce à la recherche que l’audio stimule les apprentissages et favorise l’acquisition de la lecture. Les zones cérébrales sollicitées dans la lecture et dans l’écoute d’une histoire ou d’un contenu audio adapté sont identiques. Elles développent donc les mêmes compétences de lecteur et d’apprenant. »
Quel est le processus de création des contenus audio chez Bayard ?
« À chaque étape de création, on a toujours en tête notre objectif de transmission à destination des enfants. On cherche à adopter une démarche pédagogique réfléchie en amont avec toute l’équipe et les auteurs eux-mêmes. Nous considérons que nous ne sommes pas là pour donner des leçons, mais plutôt pour nous mettre à hauteur des enfants. On s’inspire de l’enfant qu’on a été, de ceux qu’on connait et ceux dont on nous parle. Nous tâchons d’avoir une vision élargie du champ de l’enfance en nous tenant informés de la recherche en musicologie, en sciences de l’éducation, en sciences cognitives et sociales pour ne pas être isolés dans notre studio d’enregistrement. Celui-ci doit devenir la caisse de résonance du monde de l’enfance. Mais aussi de la relation de respect de l’adulte envers l’enfant et de la reconnaissance de son intelligence.
C’est important pour nous, car le choix des illustrations sonores, des bruitages, bref de tout ce qui ressort de la créativité du projet audio, repose sur la capacité de l’enfant à combler les silences, à interpréter les bruitages, la tonalité d’un extrait sonore etc. D’ailleurs, pour Petit Ours Brun, nous travaillons avec un studio dirigé par un musicien. Et nous faisons appel à des compositeurs, dont c’est la mission de transcrire des émotions, de faire ressentir des situations à l’aide de leurs partitions.
De plus, nous collaborons avec des comédiens voix recrutés lors de castings. À titre d’exemple, pour Mes P’tits docs nous avons auditionné près de vingt voix différentes avant de trouver celles qui nous convenaient. D’autre part, nous veillons aussi à la parité homme/femme, car nous avons pleinement conscience des biais que peuvent induire les stéréotypes. Ainsi, garçons et filles peuvent s’identifier dans différents personnages et y projeter leurs propres besoins et modèles.
Enfin, nous avons aussi un format de durée qui s’adapte en fonction des types de contenus. D’une manière générale, un enregistrement ne doit pas excéder une certaine durée au risque de dépasser les capacités de concentration des enfants. Pour Petit Ours Brun par exemple, le temps d’écoute correspond à la longueur de l’histoire, environ 3 minutes pour chacune. »
Quelles sont les spécificités d’un enregistrement audio documentaire ?
« La collection audio Mes P’tits docs a été particulièrement intéressante du point de vue de l’illustration sonore. Comment passer d’un illustré à l’audio ? Tout d’abord, nous avons trouvé un studio à Toulouse avec lequel nous avons travaillé en proximité, avec la même ligne éditoriale et créative. Notre objectif consistait à documenter par le son ce qui n’est pas visible. Dans un livre documentaire, l’illustration peut rentrer dans le détail pour faire comprendre par l’image ce que le texte explique. Pour une version audio, il nous faut documenter ce qui est essentiel, ce qui fait sens pour l’enfant. Et nous ne pouvons y parvenir que si nous nous mettons à la place de l’enfant.
Ainsi, nous réfléchissons sur les éléments qui intéressent les enfants et sur lesquels ils se posent des questions. Cette démarche nous conduit à sélectionner des illustrations, des bruits à hauteur d’enfant. Et ce sont souvent ces bruits et la musique qui sont perçus en premier par l’enfant. Ils servent à guider la compréhension et à favoriser l’immersion dans un univers documentaire (Les loups ou Les pompiers par exemple). »
Comment avez-vous créé un univers sonore autour de Petit Ours Brun ?
« Pour les plus petits, âgés de 0-3 ans, l’accès au sens se fait par la musique. Pour Petit Ours Brun, nous avons créé une charte musicale bien précise. Des virgules sonores traduisent les émotions du petit héros par la musique. Par ailleurs, nous avons la chance d’avoir à nos côtés la talentueuse Dorothée Pousséo qui prête déjà sa voix à Mortelle Adèle.
Pour préparer un enregistrement audio, il faut aussi aller à l’essentiel. On ne peut pas tout bruiter. Cela serait contreproductif pour l’enfant qui a besoin de se concentrer sur les points importants de l’histoire.
De même, nous réservons une place au silence pour laisser le temps à l’enfant d’imaginer, de penser. En cela nous nous inspirons de la musique qui prévoit des respirations. Il en va de même pour un texte, les pauses évitent la saturation du sens. »
Comment l’audio influence-t-il le texte ?
« Du manière générale, l’audio donne accès au sens du texte. Il peut en préparer la lecture. De plus, en fréquentant les histoires et documentaires, l’enfant se familiarise avec la langue et enrichit son vocabulaire. Passé le stade du déchiffrage, il aura plus de facilité à comprendre ce qu’il a lu. C’est pourquoi l’acquisition d’un lexique riche et varié par l’audio va rendre service à l’enfant dans ses apprentissages. Il y a aussi un bénéfice évident à écouter des histoires pour saisir les structures narratives classiques des textes.
Côté création de contenus audio, nous avons aussi une expérience nouvelle des rapports entre le texte et sa version audio. Alors que traditionnellement l’audio reproduit le texte, il arrive désormais que l’inverse se produise aussi. Certains textes sont remaniés pour les besoins de l’enregistrement. Parfois même, la version papier utilise les données d’améliorations déterminées par l’équipe au moment de l’enregistrement du texte. Ainsi pour Petit Ours Brun, nous concevons l’audio à partir du texte paru dans la presse. Puis la version audio passe au format papier.
On peut donc dire que dans certains cas, l’audio influence en retour le texte au format papier. Certains contenus audio sont tellement forts sur le plan sonore, que l’auteur réadapte son texte pour le rendre plus fort aussi. Pour une même histoire ou documentaire, nous aurons donc deux versions : une audio et une papier. Les va-et-vient de l’un à l’autre sont une source d’enrichissement pour la création audio, l’écriture et bien-sûr pour le lecteur/auditeur. «
Retrouvez également nos sélections payantes de chez Bayard : Mortelle Adèle (roman Mortel un jour, mortel toujours), 12 histoires de Petit Ours Brun, trois romans J’aime Lire (Vampirette, Anatole Latuile et Crapounette).